Quelques Remarques sur le Cerveau






Jean-François COLONNA
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CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, CNRS, France
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(Site WWW CMAP28 : cette page a été créée le 12/01/1996 et mise à jour le 14/11/2023 17:56:27 -CET-)



Mots-Clefs : Anaglyphes, Art et Science, Autostéréogrammes, Chaos Déterministe, Création Artistique, Entrelacs, Erreurs d'arrondi, Expérimentation Virtuelle, Génie Logiciel, Géométrie Fractale, Infographie, Mathématiques, Mécanique Céleste, Mécanique Quantique, Physique, Sensibilité aux Erreurs d'Arrondi, Simulation Numérique, Stéréogrammes, Synthèse de Phénomènes Naturels, Synthèse de Texture, Visualisation Scientifique, Voyage Virtuel dans l'Espace-Temps.




1-Cerveau et Boucles de Rétroaction :

Le cerveau pourrait être constitué d'un certain nombre de hiérarchies de boucles de rétroaction en mouvement perpétuel (l'arrêt de ces mouvements correspondant à la mort cérébrale). Cela signifierait que la mémoire serait en partie dynamique et que mémorisation et traitement de l'information pourrait être une seule et même chose. Ces boucles produisent en permanence :

Cela peut expliquer les aspects créatifs, novateurs, imprévisibles,... des "productions" du cerveau ; mais en remontant éventuellement à l'instant 0 (la conception ?) rien n'est produit qui ne vienne (directement ou très très indirectement) des sens qui initialisent puis alimentent en permanence le processus. D'où la conjecture suivante : point de conscience sans au moins un sens actif.

On notera au passage l'introduction d'une sorte d'indéterminisme lié à l'aspect temporel du processus. En effet, tous les chemins n'étant pas de même longueur, et les vitesses des influx nerveux pouvant varier, les interactions sont asynchrones et difficilement prévisibles. La différence essentielle avec un ordinateur (machine numérique algorithmique) pourrait être alors l'absence d'horloge de synchronisation (ces décalages temporels entre signaux à combiner pourraient-ils être l'analogue des erreurs d'arrondi -même si ces dernières sont déterministes- ?). Cela peut fournir des arguments en faveur de la théorie non calculatoire (non algorithmique) de la pensée telle qu'elle est présentée par Roger Penrose, qui par ailleurs se trompe certainement en voulant expliquer ce processus en partant du bas de l'échelle (la mécanique quantique et les cytosquelettes) ; à titre d'exemple de clarification, ce n'est pas en prenant en compte les quarks et les gluons que l'on fait de la mécanique des fluides ou bien encore de la mécanique céleste... D'autre part, si la conscience trouvait ses sources dans les échelles quantiques uniquement, où serait la différence entre le cerveau de l'homme (pensant et conscient) et celui d'un animal "inférieur" ? Enfin, les appareils d'examens médicaux (la RMN, par exemple) qui interviennent sur l'état quantique des particules élémentaires de notre corps devraient modifier notre pensée lorsque les mesures effectuées ont lieu sur le cerveau, or cela ne semble pas être le cas...

Au passage, Roger Penrose se trompe aussi lorsqu'il ignore le problème des erreurs d'arrondi dans les calculs de chaos déterministe, or celles-ci introduisent la non calculabilité dans des processus algorithmiques et donc calculables théoriquement ; elles montrent donc qu'il est essentiel de distinguer la calculabilité théorique de la calculabilité pratique qui seule importe ici lorsque l'on souhaite faire une simulation.




2-L'Inné et l'Acquis :

Les fonctions de combinaison et de transformation ne sont pas arbitraires : elles correspondent d'une part aux chemins dont la topologie est d'orgine génétique et d'autre part à ceux qui furent renforcés ou créés à partir de l'expérience (sans oublier bien entendu ceux qui ont été affaiblis, voire ceux qui ont disparu).




3-Cerveau et Systèmes Dynamiques :

Le comportement global du "système" étant en général cohérent (sauf démence par exemple) et d'une extrême "richesse potentielle", cela signifie qu'il est en fait un système dynamique (d'une très grande complexité) possédant un attracteur étrange. Cela peut donc expliquer l'aspect chaotique des mesures de certains signaux biologiques (électro-encéphalogrammes par exemple).

Cette notion ajoutée à celle d'absence d'horloge de synchronisation (asynchronisme) impliqueraient l'impossibilité d'être deux fois de suite dans le même état exactement et bien entendu une forte sensibilité aux conditions initiales (qui ici sont en fait permanentes, puisque constituées de l'ensemble de l'environnement sensoriel). Certaines maladies mentales (obsessionnelles par exemple) pourraient alors s'expliquer en terme de formes particulières de l'attracteur, dites à sens unique ou trappe (c'est-à-dire dont on ne peut sortir...).




4-Les Cinq Sens :

La mise en mouvement (initiale, mais aussi permanente) provient donc des stimulations externes alimentées par les cinq sens (la vue, l'ouïe, le toucher, l'odorat et le goût) et tout (absolument tout) est engendré à partir de là, et ce de manière récursive. Les productions sont de nature commandes musculaires (réelles : la parole par exemple, ou virtuelles : la pensée).




5-La Conscience :

Il existe une boucle de rétroaction plus "externe" que les autres : c'est la conscience. Celle-ci connecte les sorties de type vocal (en inhibant les commandes physiques correspondantes) aux entrées de type auditif. Penser, c'est se parler a soi-même : cela explique que la petite voix que l'on entend dans sa tête ressemble à s'y méprendre à celle que l'on entend lorsque l'on s'écoute parler (par exemple, elle est masculine pour un homme et féminine pour une femme). Cela explique aussi que l'on puisse parler tout seul : alors les commandes de vocalisation ne sont pas inhibées ; il est même possible de passer d'un mode à l'autre de façon continue (penser intérieurement et soudainement poursuivre à voix haute un raisonnement). Une conséquence immédiate en est que les animaux évolués (les mammifères en particulier) doivent posséder, eux-aussi, cette boucle externe ; ainsi un chat, par exemple, doit entendre dans sa tête (et donc penser...) des miaulements sémantiquement significatifs.

Il doit exister en fait un continuum de niveau de conscience allant de 0 (une amibe par exemple) à 1 (un être humain "normal") et au-delà (ceux que nous ne rencontrerons certainement jamais...).




6-Eveil et Sommeil :

Le fonctionnement et le comportement de cette boucle dépendent de l'état éveillé ou non du sujet. En particulier à l'etat éveillé, il doit exister des mécanismes de cohérence (liés peut-être aux entrées sensorielles courantes) qui limitent les actions possibles. Par contre dans l'état de sommeil, ces mécanismes de cohérence pourraient être affaiblis et donc permettre la production d'actions virtuelles incohérentes. Cela est l'occasion d'ajouter que cette boucle connectant la parole à l'ouie doit aussi connecter un dispositif de sortie (à préciser) aux mécanismes de la vision ; tout cet ensemble produisant alors les rêves. Il serait peut-être possible de stimuler cette connexion visuelle virtuelle à l'état éveillé.




7-Le Libre-Arbitre :

Cette boucle de rétroaction appelée conscience n'est donc qu'un "sous-produit" des mécanismes plus profonds (les boucles plus internes) et elle ne fait que les traduire synthétiquement et ce de façon automatique (et donc involontairement). Cela implique que le libre-arbitre n'existe pas, la conscience étant une production automatique. Cela explique au passage la possibilité de certaines activités (tel le pilotage d'une Formule 1 ou d'un chasseur à réaction) pour lesquelles l'action est trop rapide pour que la décision puisse être prise de façon consciente (il s'agit ici d'actions beaucoup plus complexes que celles que l'on qualifie habituellement de réflexe ; en particulier beaucoup mettent en œuvre une stratégie -de victoire-). Cela explique aussi le résultat de certaines expériences où l'on montre qu'une action peut être démarrée (le mouvement d'un membre) avant même d'avoir pensé ce mouvement (intérieurement).




8-À quoi sert la Conscience ?

À quoi sert cette boucle de conscience et pourrait-on s'en passer ? Deux explications (non exclusives l'une de l'autre) la justifiant peuvent être avancées : d'une part une auto-stimulation de haut-niveau qui permettrait de continuer à penser même si les stimulations sensorielles externes (et réelles) étaient interrompus (ce qui ne serait pas vrai si celles-ci n'avaient jamais existées, puisqu'elles initialisent le processus) et d'autre part assurer (tout ou partie ?) de la fonction de filtrage de cohérence. Dans ces conditions, la cohérence est à définir comme un ensemble de contraintes forgées par l'extérieur (connu par les sens) et permettant d'adapter notre action à l'environnement. D'ou une autre conjecture : il ne peut y avoir intelligence sans conscience; c'est peut-être là le problème majeur de l'Intelligence Artificielle : donner à la machine la conscience de soi ; l'homme devra-t-il lui communiquer (et si oui, comment ?) ou bien émergera-t-elle spontanément, et ce au-delà d'un certain niveau de complexité ?




9-La Mesure de la Pensée :

Une mesure de l'état instantané du cerveau semble aussi impossible qu'une telle opération portant sur l'Univers ; en effet ce dernier est vu depuis un point unique (le système solaire) et les objets observés le sont à des instants différents de l'histoire de l'Univers (plus ils sont éloignés et plus ils sont vus dans le passé).

En ce qui concerne le cerveau, la situation semble assez similaire. D'une part les mesures ne peuvent qu'être externes en toute généralité. D'autre part, la conscience est mouvement perpétuel et vice-versa ; cela implique que l'état global ne peut être figé à l'instant t et ainsi il est impossible de mesurer A(t) et B(t), mais uniquement A(t) et B(t+Dt) d'où l'incohérence et la perte de l'intégrité de la pensée... Cela semble interdire le développement d'une quelconque téléportation (de l'être humain, alors qu'elle est déjà possible au niveau d'une particule élémentaire, en notant au passage que c'est son état qui est téléporté et non pas elle-même...) qui nécessiterait évidemment une mesure instantanée et globale.




10-Combinatoire et Création :

La combinatoire est la source de la création. Cette conjecture pourrait (peut ?) être démontrée de la façon suivante. Si l'évolution se poursuit normalement, un programme comme Deep Blue devrait battre régulièrement Garry Kasparov dans les prochains mois (je dis -au mois de mai 1997- régulièrement, ce qui signifie qu'il n'est peut-être pas envisageable que la victoire soit systématique...). Sans vouloir réduire les qualités évidentes de ce programme, il est vrai qu'il privilégie l'approche brutale et exhaustive par rapport à une approche plus "fine" reposant sur des connaissances générales relatives au jeu d'échec. Ce programme est donc un générateur de combinaisons ; or s'il réussit à battre le champion du monde, ce ne peut être que grâce à des coups que tous les spécialistes s'accorderont à trouver magistraux et originaux ; ainsi la combinatoire engendre la création.




11-Le Test de Turing :

Le jeu d'échec est considéré depuis son invention comme l'activité intellectuelle par excellence ; il fut donc, depuis toujours, un sujet de recherche pour l'Intelligence Artificielle (et même avant qu'elle ne fut "informatique" : il suffit de se souvenir de ces automates qui furent construits au cours des siècles passés -celui du Baron de Kempelen, par exemple-). Il serait possible de considérer les matches de Garry Kasparov contre Deep Blue comme une nouvelle version du test de Turing : en effet, effaçons le nom de Deep Blue et remplaçons-le par celui de Jean Dupont. Qui contestera la qualité impressionnante du jeu de ce dernier, et donc son intelligence. D'ailleurs, à plusieurs reprises et de plus en plus explicitement, Garry Kasparov a accusé IBM de tricherie en laissant entendre que la machine aurait été "assistée" lors des coups importants ; si tel n'est pas le cas (ce que je crois ; d'ailleurs est-il imaginable que plusieurs Grands Maîtres coopèrent en temps réel afin de battre le champion du monde ? Leurs capacités individuelles ne sont pas "additives"...), c'est faire là un compliment aux concepteurs du système... Enfin, cette victoire attendue n'est donc pas (du moins pas encore...) celle de la Machine sur l'Homme, car, en effet, qui conçoit celle-ci ?




12-Unité et Persistance :

Le cerveau (et plus généralement le corps) est un assemblage d'un nombre colossal de particules dites élémentaires (électrons, quarks, photons, gluons,...). Comment est-il alors possible que cet "amas" possède une unité (tant physique que psychologique) et qu'il la conserve au cours du temps, mais aussi comment peut-il "avoir conscience d'avoir conscience" ?


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